A la croisée des chemins, à l’aube de l’émergence des temps nouveaux, à l’ère de la digitalisation, nous avons les yeux rivés sur le destin de notre cher et beau pays, le Cameroun. Négociera-t-on bien le virage ?
D’un côté la créativité des jeunes, ainsi que leur rejet de toute forme de limitation institutionnelle ou de carcans administratifs, les benjamins (20-35 ans) explosent autant dans les technologies du numérique que dans l’art, entraînant de ce fait un management plus intuitif, plus émotionnel branché à la culture-monde et une allergie organique aux modèles hiérarchiques traditionnels.
Au milieu, les automatismes de survie de la génération au dessus, les cadets (40-60 ans), qui a créé des PME et des grands commerces avec plus ou moins de succès, dans un contexte extrêmement difficile de crise économique, hanté par un désir obsessionnel d’accumulation de richesses, qui a dû se réinventer un nouvel art d’être heureux par temps de disette, accrochés à la maxime « le Cameroun, c’est le Cameroun », caressant le rêve secret de voir la génération au dessus d’elle lui donner la main, mais sentant déjà la génération au dessous la lui arracher, lui oppose comme argument fatal : l’expérience.
De l’autre côté les plus anciens, les séniors (65-85), avides des privilèges qu’elle s’octroie en cercle vicieux, disant vouloir passer la main, mais voyant comment les cadets émergents ont tous les vices des séniors déclinants, craignent que le pays ne se morde la queue.
Les vases ne communiquent pas. Accusations mutuelles d’incompétences, condescendance réciproque. La toile est la scène des autodafés. La presse traditionnelle est la caution de ceux qui veulent prendre part à la table des privilèges. Chacun, pour ainsi dire, voit midi à sa porte. Mais personne ne veut l’ouvrir.
Dans cette danse de positionnement, la machine sociale avance certes, mais à grand peine. Il manque l’huile de la transmission. Résultat des courses, on y parviendra, mais avec des sur- efforts et des bruits qui ne seront pas sans conséquences sur la santé générale du corps social.
Les illustrations de ce tableau abondent dans l’actualité numérique dite 237 de ces derniers mois :
- La fameuse villa du Directeur du Trésor
- Le traitement du Dr Bassong
- La question des ordinateurs promis aux étudiants
- L’inventeur du Cardiopad
- Bidoung Challenge/ Mama Fouda Challenge.
La justesse de ce tableau repose en ceci qu’il se produit à l’échelle de la nation, se reproduit dans les grandes entreprises, se prolonge dans les PME et s’achève dans les ménages. La même lutte. Seuls les mots changent en fonction du degré de culture des structures sociales observées.
Comment expliquer cela ?
Après avoir pratiqué plusieurs milieux organisés, notamment les PME, les universités et les organisations politiques, deux facteurs essentiels s’avèrent être les principales causes de cette « in-communication » entre les générations : L’identification et la considération.
L’identification est le processus de fusion par lequel l’essence d’un individu se dilue complètement dans son activité, ou sa tâche au point où il se croit être la fonction qui lui est confiée. On remarque surtout dans les générations des cadets et des seniors, des individus bien portant qui sont prêt à vous toiser, jusqu’à se refuser de vous adresser la parole, pour la simple et unique raison que vous avez manqué de faire précéder son nom de… « Monsieur le Président ». L’homme est convaincu qu’il EST président. Et rien d’autre, il va donc orienter toute sa force vitale à jouer au président de sorte qu’il réagisse avec violence et hargne devant tout homme ou événement susceptible de faire de lui un non-p1résident. Ne plus l’être serait mourir. Un tel individu peut-il transmettre ? Que peut attendre de lui la génération suivante à part être présidée jusqu’à la mort?
La considération quant à elle concerne le volet social, relationnel de l’identification. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Nous souvient-il, il y’a quelques années de cela, une foule immense courait le long des rues de Yaoundé à l’annonce du limogeage d’un certain directeur général de la CRTV, qui s’était tellement identifié à son poste, que l’opinion publique avait fini par croire que toute l’institution avait été conçue pour cet homme. On peut donc dire que, l’opinion publique avait de la considération pour le DG. Pourtant, objectivement, ni sa nomination, ni son limogeage ne concernent cet homme, qui est bien autre chose que l’institution, le rôle ou la fonction qu’il incarne de manière tout à fait accidentelle.
C’est la croyance du contraire qui conduit à des données comportementales telles que : la personnalisation, la centralisation, la concentration des pouvoirs, le culte de la personnalité et autres propriétés découlant de la maladie nommée « égo surdimensionné ».
On les voit, ces gens de toutes les générations qui esquissent un sourire fier, lorsque des flatteurs de tout bord les appellent, non sans solennité : « Monsieur le DG », « Monsieur le Directeur », « Président », « Big Manager » « Docteur », « Professeur ». Ils croient qu’ils le sont, il devient normal pour eux de désirer le rester éternellement.
Etre ou ne pas être. Il reste urgent de transmettre.