Au Cameroun, ceux qui achètent des livres le font généralement dans le but de les offrir à un tiers (ou pour justifier leur présence à une séance de dédicace). Par suite, ceux qui ont des livres ne les ont pas, en règle générale, achetés. Le second service que vous puissiez rendre à celui qui a songé à vous faire plaisir, c’est d’en acheter un autre exemplaire pour lui-même. Ce dictionnaire n’a pas été conçu pour être consulté ponctuellement (cela dit…), mais pour être lu et, au besoin, relu. Son principe est de divertir plutôt que d’édifier, maintenant si nous pouvons castigare ridendo mores, ce sera tout bénéfice.
Il s’agit d’un dictionnaire camerounais, c’est-à-dire un recueil de mots et d’expressions bien de chez nous (par l’origine ou par l’usage) présentés par ordre alphabétique. Il ne prétend plus qu’un autre à l’exhaustivité. Nous pouvons bien choisir de nous appeler Littré, ou de rester simplement Tsimi, Cela n’emporte aucun droit privatif d’aucune sorte, le lecteur pourra toujours compléter, corriger, en somme s’ appeler Robert ou Larousse, dans une version améliorée de ce qui constitue, dans le genre et dans notre contexte, un précédent absolu, si l’on veut rester modeste.
Ce dictionnaire n’est pas seulement un dictionnaire : les définitions des entrées que vous trouverez ne sont pas seulement (ni toujours) des définitions, mais davantage des commentaires, voire des développements, tous ensembles artistiques, historiques, sociologiques, linguistiques, au mieux, encyclopédiques. Ce sont des attentats à la bien-pensance souvent illustrés par des caricatures, des photos, des extraits d’œuvres publiées ou inédites, des saynètes, des mots d’auteur, des situations comiques, des scènes narratives originales et des personnages hauts en couleur.
Ces précisions quant à l’objet, la nature du contenu, l’ambition de l’auteur étant faites, il importe de dire les préceptes qui ont présidé à la mise en œuvre de ce projet. L’ironie y est souveraine, nous ne nous faisons pas faute de provoquer, du moment que nous demeurons subtils et gais. Nous restituons à certains moments la croyance commune, sans la commenter, ni la corriger, à d’autres nous juxtaposons ce qui devrait être à côté de ce qui est. Toutefois, globalement, nous évitons d’aborder les questions du point de vue du normativisme (il faut dire, faire, penser… plutôt que…) et des prescriptions ex cathedra du magister dixit. Au plan formel, ce volume est une évidente parodie des dictionnaires de langues, l’usage de certains « abréviations et signes conventionnels » n’ont qu’une pertinence toute relative. Ils visent essentiellement à agrémenter la lecture et à alléger l’économie du contenu. En tout, notre fantaisie nous a guidés jusque dans le choix des noms propres et dans la présentation fonctionnelle que nous en faisons.
Des idées reçues lato sensu, id est en y incluant les a priori, les lieux communs, les poncifs, les clichés, les stéréotypes, les légendes urbaines, les « préjugés en béton », sans acception de leurs nuances de sens. Ces manières de dire, de faire, d’être, et de penser que l’on n’ose jamais remettre en question sont ici examinées, déconstruites, déboulonnées, il n’est pas jusqu’à notre hymne national qui n’échappe à notre verve contestataire, persifleuse, sciemment hétérodoxe. Nous revendiquons d’une part le droit à l’autodérision, la liberté de douter de la perfection de notre pays ou de la sainteté de ses habitants. Nous nous enorgueillissons d’autre part de l’inventivité de notre peuple, de son génie, et de son exception culturelle. Aussi y a-t-il, dans cette photographie en demi-teinte, ou ce cliché (pour mieux dire et jouer avec les sens) du Cameroun, les camerouniaiseries au prime abord et les camerounismes au second, un peu en écho à la double interrogation liminaire. A vrai dire, la segmentation ainsi opérée n’est pas étanche, ce sont essentiellement des faits de langue que l’on retrouve dans la seconde partie, ils n’en véhiculent pas moins nombre d’idées reçues ou préconçues et cette belle mentalité camerounaise capable de si grandes laideurs, photographiée et retouchée à l’occasion, pour des raisons esthétiques bien sûr. De la littérature avant toute chose !